Gaches Chimie ou le pouvoir de nuisance des cartels

Interview de Pierre Gaches,

dirigeant de Gaches Chimie

Le dirigeant d’une PME toulousaine opérant sur le marché de la distribution de produits chimiques dits de commodités subit depuis 15 ans toutes les brimades imaginables de la part de ses concurrents (notamment le dominant BRENNTAG) en vue de le déstabiliser. Sa résistance et sa contrattaque improbable ont été aussi dévastatrices qu’inattendues pour le cartel de la distribution chimique.

1. Identification du problème

Pierre Gaches lutte depuis 1998 contre le géant Brenntag, qui réalisait en 2011 un chiffre d’affaires consolidé de 8,6 milliards d’euros. La filiale hexagonale du groupe Brenntag, Brenntag S.A, domine le marché français de la distribution de commodités chimiques (solvants, javel et autres soudes) avec plus de 50% de part de marché. Ces commodités sont produites par Exxon, Solvay, Shell, BASF ou Arkema. Elles sont utilisées à peu près par toutes les entreprises industrielles, de Heineken à Saint Gobain, en passant par Beneteau, Veolia, EDF, etc.

Brenntag S.A a d’abord tenté de racheter en 1998 son petit concurrent Gaches Chimie. Puis, face au refus de la PME toulousaine d’être rachetée, Brenntag S.A s’est livrée à une guerre des prix afin d’évincer Gaches Chimie en s’appuyant sur les ententes anticoncurrentielles dont elle est le pivot. Elle a également fait pression sur tous les fournisseurs majeurs de Gaches Chimie pour qu’ils cessent leurs livraisons. Ce qu’ils ont fait. La PME a ainsi perdu 50% de ses approvisionnements et un certain nombre de ses clients, faute de pouvoir leur livrer les gammes de produits souhaitées.

Plus encore, pour capter la clientèle de la société Gaches Chimie et l’évincer du marché français de la distribution de commodités chimiques, Brenntag S.A a frauduleusement capté des marques commerciales notoirement détenues et utilisées par Gaches Chimie. Brenntag a, à ce titre, été condamnée par le Tribunal de grande instance de Paris le 10 juin 2003 (jugement confirmé en appel le 10 novembre 2004).

2. Saisine des pouvoirs publics

L’abus de position dominante

En 2002, Pierre Gaches se rapproche de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) puis du Conseil de la concurrence (ancien nom de l’Autorité de la Concurrence) pour dénoncer les prix discriminatoires/ prédateurs pratiqués par BRENNTAG et sa captation des fournisseurs verrouillant l’accès de ses concurrents (dont Gaches Chimie) à certaines commodités chimiques.

Les ententes

N’ayant pas provisoirement obtenu gain de cause devant le Conseil de la concurrence sur le volet « abus de position dominante », Pierre Gaches décide de creuser ses soupçons de cartels et d’ententes sur les prix. N’en faisant pas partie, il lui est difficile de produire beaucoup d’éléments de preuve. Il décide donc de prévenir à partir de septembre 2006 tous ses concurrents qu’il va déposer plaintes pour ententes devant le Conseil de la Concurrence, tout en les informant des avantages de la procédure de clémence.

3. Instruction du dossier

L’abus de position dominante

Contre toute attente, le Conseil de la concurrence a prononcé une décision de non-lieu s’agissant de la plainte pour abus de position dominante. Cette décision a depuis été annulée par la Cour d’appel de Paris en 2007 (confirmée par la Cour de cassation en février 2008). En conséquence, les plaintes pour abus de position dominante déposées par Gaches Chimie en 2002 et 2007 à l’encontre de Brenntag sont de nouveau en cours d’instruction devant l’Autorité de la concurrence.

Les ententes et la procédure de clémence

Entre le 20 septembre et le 13 décembre 2006, Solvadis, Quaron, Brenntag puis Univar se rendent successivement devant l’Autorité de la concurrence pour plaider coupable… et dénoncer leurs concurrents dans le cadre de la procédure de clémence.

4. Décision ou avis de l’Autorité de la Concurrence

Le 28 mai 2013, l’Autorité de la concurrence a condamné les membres du cartel (qui représentent plus de 80% du marché) à une amende de 79 millions d’euros. C’est la huitième sanction la plus importante infligée par l’Autorité depuis sa création.

Brenntag a bénéficié d’un taux de réduction de 25% au titre de la clémence : elle est condamnée à payer 47 millions d’euros. Bien que Brenntag soit la société la plus sévèrement condamnée, ceci représente une goutte d’eau (sachant que le groupe Brenntag risquait une amende de 10% de son chiffre d’affaires mondial).

5. Suivi

Les ententes et la procédure de clémence

Brenntag a décidé de contester en appel le montant de sa sanction et le second rang attribué par l’Autorité de la concurrence. Brenntag a également déposé 6 Questions prioritaires de constitutionnalité sur le mécanisme de la clémence (Article L 464-2 du Code de commerce), alors même qu’elle a utilisé ces procédures en France et dans d’autres pays européens.

Sur le terrain de la réparation de Gaches Chimie comme victime du cartel démantelé, les juridictions commerciales devront déterminer le préjudice de Gaches Chimie ainsi que le montant des dommages et intérêts que les membres du cartel devront lui verser.

Gaches Chimie, une histoire de famille

Gaches Chimie, une histoire de famille

Gaches Chimie, une histoire de famille

Le groupe familial a été fondé en 1948 par Louis Gaches et emploie 245 personnes pour un chiffre d’affaire 2012 de 94 millions d’euros. Il est présent en France, Espagne, Maroc et Tunisie et intervient non seulement dans la distribution de produits chimiques (près de 70M€ de CA), mais propose l’ensemble des services et solutions liés aux problèmes industriels rencontrés près de 10 000 clients qui lui ont fait confiance (commodités, spécialités, déploiement international, questions de sécurités, application de Reach, analyses chimiques …)..

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