Interview exclusive de Laurent Grandguillaume, Député de la Côte d’Or

Missionné par le Gouvernement pour trouver une issue au conflit entre les taxis et les VTC, Laurent Grandguillaume livre au Collectif David contre Goliath sa vision sur les chantiers à mener pour simplifier les normes et ainsi libérer l’innovation et l’énergie entrepreneuriale de notre pays.

Vous avez été désigné par le Gouvernement médiateur du conflit entre taxis et VTC, quelles sont les conditions d’une bonne cohabitation entre ces deux activités? 

LG : L’économie du secteur des professions qui concourent au transport public particulier des personnes (taxis, véhicules de transport avec chauffeur) est en pleine mutation depuis ces dernières années : les comportements des usagers se modifient ; les évolutions technologiques accélèrent ces changements. Aux côtés de ces acteurs du transport particulier des personnes, les acteurs du transport collectif de petite dimension (les « capacitaires » LOTI, habilités à transporter, de façon occasionnelle, de 2 à 9 personnes) participent aussi à cette mutation, dans le cadre des règles qui leur sont propres et qu’ils doivent, bien sûr, respecter.

Ces mutations s’accélèrent ; elles imposent de repenser l’équilibre d’ensemble du secteur, de mieux évaluer ce qui sépare et ce qui unit ces acteurs et ces professions, ainsi que le cadre juridique qui régit chacune d’entre elles, pour mieux préparer l’avenir, celui des usagers, notamment la qualité de service attendue, et celui de ceux qui, tous les jours, assurent l’exercice de ces transports. Il faut donner à l’ensemble des acteurs un cadre clair et lisible qui leur permette de se projeter vers l’avenir. Il convient de prendre pleinement acte des évolutions technologiques, des aspirations des consommateurs et du besoin de confiance des acteurs. Les évolutions doivent reposer aussi et bien sûr sur un principe d’équité, qui vise à garantir aux acteurs qui sont le plus menacés, que le fruit de leur travail sera reconnu et préservé.

 

Dans votre livre intitulé La Gauche a perdu sa boussole, offrons-lui un GPS !, paru aux Editions du moment, vous proposez un certain nombre de réformes pour permettre le développement des entreprises du futur. Comment s’assurer que ces entreprises se développent en France ?

LG : C’est là tout le sujet. Dans mon livre je parle du retard que la France a pris en matière de production de nouvelles technologies. Je crains que demain nos industries ne soient totalement dépendantes de ceux qui maitrisent déjà les collectes de données ou les algorithmes. L’échange risque d’être bien inégal entre les sociétés qui produiront ces technologies et celles qui les utiliseront. Mais si les nouvelles technologies impactent nos modèles, c’est aussi le développement de nouvelles collaborations. Les entreprises se multiplient à mesures que les coopérations naissent. Notamment les entreprises sociales, les coopératives, les micro-entreprises… on pourrait développer le Social Impact Bond qui permet de financer des projets sociaux où la rentabilité est directement liée à l’impact social sur le territoire. Les entreprises doivent avoir conscience de leur empreinte sociale, économique et climatique.  Elles doivent également se fédérer face à des géants. C’est pourquoi l’écosystème entrepreneurial est fondamental.

Un des leviers majeurs, à mon sens, est la simplification administrative pour les entreprises en France. Défi que j’essaie de relever en tant que Co-président du Conseil de la Simplification. Il faut à la fois simplifier le stock de normes qui s’appliquent à nos entreprises mais également s’attaquer au flux incessant de nouvelles normes. Cela doit se faire en partenariat avec les entrepreneurs. C’est ce que nous faisons au sein du Conseil de la Simplification. Tout l’enjeu est d’avoir un environnement clair, lisible et stable.

 

Dans le secteur de l’énergie, quel modèle d’entreprise alternatif peut-il être pertinent face au duopole Engie/EDF?

LG : Il faut là s’inspirer des travaux de Jeremy Rifkin, tout est dit et bien dit.

 

Comment analysez-vous l’émergence des nouveaux acteurs monopolistiques et globaux qui consolident leur position dominante en rachetant les nouveaux entrants, chassant ainsi toute concurrence ?

LG : Les coûts en matière de recherche et d’innovation sont élevés. En raison de ces coûts initiaux on compte peu de nouveaux entrants sur le marché. Les start-ups dynamiques sont vite rachetées par les grands groupes. Dans ce modèle, la valeur d’usage du bien prime sur la propriété. On surexploite les ressources naturelles et on raréfie l’immatériel par les privatisations et les licences.  Heureusement, face à cela, d’autres modèles se développent, basés sur l’échange et la coopération, l’économie du pair-à-pair.

C’est tout l’enjeu de l’open data pour les entreprises : créer des richesses, de nouveaux services, à partir de données des services publics tout en garantissant l’anonymat. C’est d’ailleurs le cœur de la Loi sur le numérique défendue par la Ministre Axelle Lemaire. J’avais défendu un amendement avec ma collègue Delphine Batho, dans le cadre de cette loi pour que ces communs informationnels soient mieux reconnus. Leur consommation, contrairement à des ressources naturelles, ne prive pas les autres d’une consommation.

 

Face à des acteurs ultra-dominants, comme les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) ou les NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber), la régulation des monopoles n’est-elle pas une obligation pour animer la concurrence et préserver les entreprises européennes des abus de position dominante ?

LG : Evidemment, notre économie se retrouve bousculée par ces nouveaux dominants. Uber, Airbnb, Google… Ils apparaissent dans de nombreux domaines : les transports, le tourisme, la banque, la santé et les professions réglementées. La régulation pour éviter les monopoles est nécessaire mais aussi l’harmonisation des normes fiscales me paraît plus qu’urgente. Ces Géants n’impactent pas seulement la France et la réflexion doit être commune, notamment au sein de l’Union Européenne. Pour l’instant, cela n’est pas le cas et chacun tente de régler le problème de manière différente.

 

La parcellisation des tâches permet aux entreprises d’avoir de plus en plus recours à des indépendants et notamment à des auto-entrepreneurs via des plateformes numériques, plutôt qu’au salariat classique. Quelles sont les règles d’une concurrence saine entre tous ces acteurs ? Ces deux modèles d’organisation du travail peuvent-ils selon vous, être complémentaires ?

LG : Dans ces nouveaux modèles essentiellement basés sur le numérique, les emplois pérennes du salariat sont remplacés par des emplois précaires. La question est de savoir quelle société nous voulons. L’ère de l’uberisation externalise les ressources humaines dans la massification des travailleurs indépendants. Mais qu’en est-il  des protections de ces travailleurs qui vendent quotidiennement leur force de travail à ces plateformes numériques? Après les délocalisations, le nouveau phénomène qui percute l’organisation du travail est le crowdsourcing. Les entreprises font appel à des travailleurs indépendants flexibles qui peuvent être partout dans le monde, comme le fait Amazon avec sa plateforme de microtravail Mechanical Turk.

Dans les récents textes de lois, que ce soit celui sur le numérique ou la loi travail, la question reste la même : comment articuler le nouveau salariat et le nouvel entrepreneuriat ? S’agit-il de salariat ou de prestation ? D’aucuns parlent d’ économie collaborative. Mais ces plateformes numériques qui détiennent l’algorithme captent la valeur et imposent les nouvelles formes d’intermédiation. Je comprends que de nombreux salariés ou que la jeune génération voient dans ces nouveaux services une nouvelle façon de travailler plus autonome, mais la dépendance économique et le lien de subordination restent malgré tout.

Il y a évidemment la question de l’harmonisation des règles fiscales et sociales qui agite ici ou là les professions percutées par ce nouveau modèle. Il y a également la question de la protection du consommateur. Beaucoup de questions doivent être éclaircies et le législateur se doit d’arrêter de courir après ces évolutions pour se pencher de manière globale sur ces nouvelles formes de travail qui ne sont pas prêtes de s’arrêter.

 

Avec la mutation du marché du travail, de nombreux salariés sont aujourd’hui également entrepreneurs. Comment pouvons-nous clarifier cette double activité et notamment en regard des notions de dépendance économique et du lien de subordination ?

LG : Le régime auto-entrepreneur a accompagné la croissance du nombre de petits entrepreneurs, dont l’objectif était pour beaucoup de compléter leur revenu ou d’essayer vite et concrètement un projet. Aussi, la frontière entre le salariat et l’entrepreneuriat est manifestement en pleine évolution dans la société, notamment dans les projets des Français de la « génération Y » des moins de quarante ans. Un étudiant qui édite le site internet d’une PME pendant deux mois à plein temps est-il employé ou entrepreneur ? Les jeunes actifs qui travaillent en coworking sans liens hiérarchiques pour un projet commun ou sous forme uniquement collaborative n’entrent pas dans les cases traditionnelles du salariat, de l’association sous forme de société, ou des relations clients-fournisseurs. Les parcours professionnels où le salariat et l’entrepreneuriat s’enchainent voire se chevauchent sont de plus en plus fréquents, et les nouvelles formes d’activité collective bouleversent les schémas traditionnels. Cet aspect des choses ne doit pas être oublié ni éludé. C’est pourquoi j’avais proposé, lors de mon rapport sur l’entrepreneuriat individuel rendu en 2013 à la demande de Jean-Marc Ayrault, que soit lancée une étude sur les formes de l’activité professionnelle en France et leurs évolutions. Les résultats de cette étude permettront d’éclairer la vision politique. Cette étude doit s’appuyer sur l’expérience d’entrepreneurs, de réseaux d’accompagnement et sur la contribution de sociologues, d’économistes et d’élus politiques. Il faut initier un débat collectif et large sur ce sujet.

 

Durant l’été 2013, vous avez été sollicité par Jean-Marc Ayrault pour trouver une solution face aux revendications des artisans qui dénonçaient une forme de concurrence déloyale de la part aux auto-entrepreneurs. Vous vous êtes prononcé en faveur du maintien de ce statut qui connaît actuellement un réel succès. Quelles sont les pistes d’amélioration du statut d’auto-entrepreneur pour développer l’esprit d’entreprise en France ?

LG : Le 17 décembre 2013, j’ai remis au Gouvernement un rapport intitulé « Entreprises et entrepreneurs individuels — Passer du parcours du combattant au parcours de croissance ». 27 recommandations composent le texte, qui propose globalement une simplification des régimes juridiques, sociaux et fiscaux de l’entrepreneuriat individuel. La création du régime des auto-entrepreneurs (AE) en 2008 a démontré l’impact positif de procédures administratives réellement simples en matière de création d’entreprises. Mais, dans le même temps, elle a induit des réactions négatives des autres entrepreneurs face à ce qu’ils considèrent comme un régime privilégié de manière inéquitable débouchant sur une distorsion de concurrence en leur défaveur.

J’ai proposé d’étendre, dans la mesure du possible, la simplicité offerte par le régime de l’auto-entrepreneur aux autres régimes de création d’entreprise, d’assurer l’équité entre les différents statuts – ce qui revient à supprimer certains avantages dont bénéficiaient les seuls auto-entrepreneurs – et de fluidifier le passage d’un statut à l’autre. Mais j’aurais souhaité la mise en place du statut juridique unique de l’entrepreneur individuel avec la possibilité de faire le choix entre un régime social et fiscal réel, lorsque l’entreprise a pris son essor, et un régime simplifié. Selon moi, la micro entreprise doit s’inscrire dans un parcours de croissance. La croissance doit être accompagnée et le passage d’un régime simplifié au régime réel doit être facilité afin de ne pas être une barrière.

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